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Le travail du psychanalyste. Un usage de soi ?


Le psychanalyste met au travail, enfin, plus exactement, c'est l'analysant qui se met au travail par le truchement du psychanalyste.

Il y a de nombreuses théories sur le sujet. Le transfert est central pour qualifier le processus qui s'opère dans le travail analytique. Le contre-transfert est également convoqué car il est un élément essentiel pour la compréhension du sujet. D'autres éléments entrent en compte, la posture, le regard, le cadre bien entendu...Ces éléments théoriques nous parlent d'un ou de plusieurs processus qui se déroulent lors d'une analyse. Il est évidemment impossible ici de faire la liste des travaux et théories sur le sujet. Le propos sera donc simplifié.

 

Il faut bien noter que ces processus sont présents dans toutes relations et que c'est justement le travail de l'analyste de transformer cette relation en un objet de mutation pour le sujet.

 

Mais de quoi parlons nous ? Quel est ce travail de l'analyste ? 

 

Si nous sortons des sentiers trop bien balisés de la théorie, il semble qu'il est bien difficile de rendre compte de l'activité du psychanalyste.

Bien sûr il est toujours difficile de parler de son travail, quelque soit ce que l'on fait.

 

Ici par ailleurs, faire "parler" le psychanalyste de ce qu'il fait bute sur au moins deux écueils.

 

1- Psychanalyste ce n'est pas un métier.

 

Derrière cette affirmation bien souvent entendue, il y a une foule de représentations qui renvoient à l'analyse comme art. Un art particulier de l'écoute et de l'interprétation. Si on peut donner foi à cette idée, l'art reste bien un travail dans la mesure où il y a production d'une médiation entre soi et le monde. Il y a réalisation d'un objet.

De même interpréter, c'est mettre en mouvement la pensée. Ici, dans l'analyse, elle est mise en mouvement d'une manière particulière. Cette pensée dynamique se nourrit de la parole du sujet et des propres pensées du psychanalyste. Au final, il se réalise un produit. Ce produit immatériel, est une transformation, une mutation d'une parole en interprétation. 

Cette transformation n'est pas si différente que celle produite par l'artisan qui partant d'un morceau de bois façonne un objet. 

D'une certaine façon l'analyste façonne la parole, pour la redonner, différente, transformée au sujet qui s'en saisit, ou pas...

Il est possible que la psychanalyse ne soit pas un métier dans le sens classique du terme, mais c'est bien un travail, ce travail c'est celui de la coproduction d'une connaissance, d'un savoir.

 

2- Le langage du psychanalyste un frein à l'expression du travail.

 

Interrogez un analyste et demandez lui ce qu'il fait. Dans un premier temps, la description du travail analytique est celle d'une technique. Le langage de l'analyste est imprégné de théories. De ce fait, il est difficile de répérer ce que les cliniciens du travail dénomme le style professionnel. 

Quand le psychanalyste parle de son travail, c'est tout un corpus théorique qui est convoqué. C'est aussi un genre professionnel et une lignée d'autres qui ont tenu un discours sur l'analyse. Les référents, les professeurs, les grands noms parlent au travers de la voix du psychanalyste.

 

De ce fait ce n'est pas un sujet singulier, qui empruntant le discours théorique parle du travail, mais des dizaines. Ce que Yves Clot nomme la dimension transpersonnelle du travail. C'est l'histoire d'une pratique qui parle. 

 

L'autre langage du psychanalyste est celui de la clinique. Dans les séminaires, les échanges cliniques, le psychanalyste parle des cas qu'il a en consultation. L'accent dans ces échanges est basée sur la question de la pratique et de la confrontation à un collègue répondant. Ce collègue, autre psychanalyste utilise son expérience clinique pour donner une orientation au traitement analytique. Les échanges se focalisent sur la dynamique à donner au travail, l'utilisation du divan, l'évocation de certains thèmes, la discussion sur des éléments de structure ou symptomatiques. Mais là encore, ce qui se dit, parle plus du résultat du travail et de la qualité du processus.

 

On connait l'intérêt de ces échanges cliniques, ils permettent de mettre en conflit les critères sur le travail, ce qui n'est pas rien. L'analyste confronte le réel de sa pratique à un autre réel, un autre destinataire du travail : le pair.

Ainsi c'est encore une fois la dimension transpersonnelle du travail qui s'exprime et sa composante technique. 

 

Reste alors une énigme, retirez le langage théorique et la dimension clinique, que reste-t-il pour évoquer ce travail si particulier du psychanalyste ?

 

 

3- L'usage de soi comme récit du travail de l'analyste.  

 

A priori, on pourrait penser que cette activité menée dans le secret des cabinets est muette, quasiment invisible.

Pourtant elle parle, elle parle beaucoup, même si elle parle à côté de son objet : qu'est ce que je fais moi psychanalyste ? 

 

C'est en utilisant l'aspect de l'usage de soi, ou du corps-soi (concept d'Yves Schwartz) que je propose une façon de mettre en récit le travail de l'analyste. Le psychanalyste comme tous les professionnels travail par corps. Etonnement c'est le corps qui est le médium qui convoque l'activité. Le psychanalyste ressent, reçoit, analyse (évidemment), il est en prise direct dans le transfert avec la perception de l'autre. C'est ainsi que cette perception est un des outils de travail du psychanalyste. Cette perception ancrée dans le corps est présente dans chaque activité, mais ici il ne s'agit pas de sentir l'environnement, les vibrations d'une machine, mais les vibrations de l'autre. 

 

Cette perception de l'autre est la matière première du psychanalyste et elle renseigne. Elle indique, elle donne des signes sur de multiples éléments de l'autre, celui sur le divan ou en face à face. Ce percept est travaillé par le psychanalyste qui en déduit une pensée. Cette pensée d'abord dirigée sur lui-même, il va la transformer en message pour l'autre, ou en silence. 

Le psychanalyste fait usage de soi pour les autres. C'est ce travail sur cette perception multimodale qui est le centre de l'activité de l'analyse. 

 

Il reste que la question essentielle de dire le travail de l'analyse reste suspendue à l'extrême singularité de l'usage de ce corps-soi pour les autres.

 

Devant une telle énigme soulevée par les activités de la relation (pour faire large), il serait intéressant d'entendre cette singularité du travail dans la transmission du savoir psychanalytique. La discussion et la recherche sur ce sujet restent ouvertes. 

 

 

Renaud Lebarbier

Psychologue- Clinicien du travail- Psychanalyste.

2 bis rue Emile Loubet 

27200 Vernon.

 

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