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Le travail malade de la folie gestionnaire.

La chose est publique et connue d'un grand nombre d'acteurs sociaux et de chercheurs : le travail est malade

 

Les consultations souffrance au travail se multiplient et les pathologies sont toujours en augmentation.

Les médecins du travail voient affluer dans leur cabinet des personnes présentant des tableaux cliniques où troubles psychiques et somatiques se trouvent parfois mêlés. 

 

Le psychologue clinicien entend des histoires professionnelles d'une grande violence qui ont parfois des effets traumatiques.

Les personnes sont abimées dans leur identité professionnelle tout autant que dans leur identité de sujet. Les pressions exercées par le travail rendent les sujets inquiets et profondément affectés dans leur estime.

Il n'est pas nécessaire ici de rappeler la centralité du travail et sa dimension essentielle dans la façon de se vivre, de créer mais aussi de se développer.

Tous ces éléments semblent en crise actuellement.

 

Et sur le terrain de l'intervention en entreprise ? Si des entreprises ont bien compris qu'il était nécessaire de penser le travail avant d'avoir à penser la maladie au travail, les résistances sont nombreuses. Les entreprises et institutions misent massivement sur la gestion du stress et l'adaptation du sujet au travail. Il est question alors de produire un sujet qui doit résister à l'insupportable. Au passage, on notera que cette initiative désastreuse n'est pas sans avoir des conséquences légales, puisque le code du travail demande, au contraire, à l'entreprise d'adapter le travail à l'homme (L 4121-2 du code du travail). Nous connaissons, alors beaucoup d'entreprises qui sont en défaut avec la loi.

 

Derrière le déni du travail et la psychologisation des situations professionnelles (en retour de la psychologisation du politique et du social), se cachent une méconnaissance chronique du travail et de ses effets sur les sujets.

Ainsi pense-t-on, que les travailleurs se trouveront mieux armés par la méditation, la gestion du stress ou par la mise en place d'un espace de jeu dans l'entreprise.

 

Ces démarches montrent leur inefficacité et soulignent la volonté d'augmenter la pression sur le sujet au travail. Offrir l'illusion d'un espace de travail convivial, offrirait un travail agréable, où l'entreprise deviendrait un lieu de détente et de bonheur. Dans les faits il n'en est rien et c'est l'insupportable du travail qui se trouve intriqué avec un sentiment de culpabilité du sujet qui se dit "mais ils font ça pour nous et je n'y arrive pas".

 

Il ne faut pas se voiler la face, l'organisation du travail n'a pas pour habitude d'inscrire le sentiment de culpabilité dans son fonctionnement, ni dans son éthique.

 

Disons le clairement, l'organisation du travail est devenu franchement et très souvent, inhumaine. 

 

La cause ? Une inflation de la gestion qui fait dire que plus que le sujet, c'est l'organisation du travail qui est folle. Le travail, son essence, son sens, ses buts pour le sujet mais aussi pour la société sont devenus des éléments invisibles, qui ne sont plus pensés. Ce qui est pensé est un reflet du fonctionnement de nos sociétés : l'efficacité, la rentabilité, la traçabilité, la mise en concurrence des sujets... Ces éléments organisent désormais le travail et impriment le temps du sujet. Il faut toujours aller plus vite, toujours faire plus pour rentabiliser le temps. Il faut consigner, noter, évaluer... D'une manière générale, c'est la pensée qui est en panne. La souffrance au travail c'est une pathologie de la pensée, elle n'est plus en mouvement, elle est figée, exsangue à l'image des sujets qui souffrent. La pensée politique et la pensée sociale sont au même point, au point mort.

 

Cette folie gestionnaire doit cesser, car elle entame le travail de toutes ses qualités et de ses effets bénéfiques sur le sujet. La souffrance au travail devrait être un grand sujet politique qui dépasse l'importance de l'évaluation des risques pour poser une question fondamentale : quel travail pour quelle société ?

 

Il s'agit d'une question de civilisation qui mérite que chacun regarde en face les causes et les conséquences de ces politiques qui poursuivent leurs dégâts depuis les années 70 et qui amènent de nombreuses personnes à la maladie, parfois à la mort. Ce malaise dans la civilisation du travail (pour paraphraser Freud) produit une flambée de troubles aigus qui s'invitent dans le champs de la médecine. Ces blessés du travail ne trouvent du soutien que dans un système qui ne peut pas grand chose pour eux. Tout doit venir de l'organisation du travail et pourtant c'est elle qui rend malade. 

 

Pourtant, tout est possible pour l'institution (au sens large) qui pose une réflexion sur le travail réel, sur le travail collectif, sur l'appropriation des pratiques professionnelles à ceux qui font, sur la question du travail de qualité, de ses règles partagées, de son éthique...Mais ces thèmes sont ignorés, projetés dans l'ombre, déniés avec une force incroyable. Pour quels résultats ? 

 

L'hôpital, la police, les institutions publiques, les entreprises privées, tous ces lieux sont touchés et ceux qui tiennent le font au prix de stratégies de défense qui sont lourdes de conséquences sur la santé des salariés mais aussi sur les services rendus aux usagers.

Regardons la situation actuelle de la santé....EPHAD, psychiatrie, urgences, soins, éducation, recherche...

 

Il est plus que temps d'agir et de sortir du programme tueur de la folie gestionnaire. Cette sortie ne pourra être que politique, programmatique ou venir d'une prise de conscience d'un fait pourtant évident : on ne fait rien de bien dans un environnement où la pression gestionnaire est absolue.

Mais peut-être est-il nécessaire de se poser une autre question : ce "bien faire", cette qualité du travail, est-elle vraiment importante pour ces entreprises, institutions dont la politique gestionnaire est centrale ?

 

Je ne sais pas qui peut répondre à cette question, mais pour les salariés, pour les malades, pour les usagers des services sociaux...il y urgence !

 

Renaud Lebarbier

Psychologue-Psychanalyste.

Clinicien du travail.

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