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P(a)enser le soin.

Médiapart organisait un plateau débat consacré à la psychiatrie et aux crises que celle-ci rencontre. 

 

Tous les propos finalement allaient au-delà de la question (primordiale) des moyens. Le sujet principal était d'interroger le soin, sa pratique et en toute finalité son sens. Car ce qui fragilise les institutions en psychiatrie c'est l'impossibilité de penser le soin. Il n'est pas possible de penser le soin dans des institutions qui protocolisent la relation soignante à l'aune des aspects financiers et de la rentabilité.

 

Penser le soin, comme le disait Jean Oury, c'est s'intéresser à l'ambiance aux entours mais aussi à l'invisible. L'ambiance de l'institution qui accueille le malade en décompensation, c'est accorder un geste d'humanité qui indique que l'on est déjà dans la relation. Difficile d'entrer dans la relation lorsque la priorité est de gérer les questions pragmatiques ou gestionnaires.

La relation finalement, ce travail qui met en lien deux personnes, est centrale dans la question du soin.

 

Il y a peu de temps, j'entendais un infirmier de l'hôpital du Rouvray dire quelque chose de terrible. Il se jugeait maltraitant. Maltraitant car réduit à une dimension technique, les médicaments, la contention...Amputé de la dimension relationnelle de son travail, il faisait du "sale boulot". Car le soin, c'est bien plus qu'un geste technique délivré à un corps, à un esprit en souffrance. C'est bien plus que ça.

 

Le soin, c'est être aussi à l'écoute de l'autre, c'est créer ce lien qui manque parfois ailleurs. Ce moment où l'autre est accueilli dans sa singularité, son être, est primordial. Winnicott a été précurseur d'une pensée du care, cette attention portée à l'autre qui ne peut se séparer du cure. Ces deux éléments représentent le soin dans ses aspects humains et techniques. Ils fondent aussi une humanité.

 

Pascale Molinier consacre une oeuvre importante à cette question du care comme travail. Travail souvent dévalorisé au profit des techniques et des pratiques "rentables". Pourtant, lors du débat sur ce plateau de Médiapart, Mathieu Bellahsen psychiatre indique une réalité clinique, lorsque l'ambiance est détestable, les flambées délirantes, les symptômes se rendent bruyants et c'est alors que la crise est traitée avec les "moyens du bord".  

 

Tout est lié. Toute l'idée de la psychothérapie institutionnelle tient dans cette évidence clinique qui fait que pour soigner, il faut aussi prendre soin de l'institution. Et l'usager de la psychiatrie ou de la médecine, du soin en général - cet usager- il a son mot à dire. Et parfois, sans mot, c'est la violence qui fait message. Un message adressé aux béances de cette peau institutionnelle. Tosquelles est toujours d'actualité. 

 

Penser le soin et penser la manière de tisser le lien avec les soignés sont des enjeux cruciaux au regard des pratiques, de l'organisation du travail des soignants, de leur santé. Il s'agit également d'un enjeu politique, anthropologique.

 

Que souhaitons nous offrir comme société du soin à nos enfants ? Faut-il naturaliser les sujets, les déposséder de leur être, en faire des objets techniques ? Ou alors, ne faut-il pas penser le soin comme un moyen de fabriquer de l'environnement, du nouveau, du créé pour améliorer la vie de la cité ? Penser le soin ne serait-il pas un moyen de prévention ?

 

A la fin de ce débat organisé par Médiapart, il reste de nombreuses questions sans réponse. Elles sont pourtant essentielles dans un système de prise en charge des souffrances qui doit, trop souvent, laisser de côté son humanité, jusqu'à en avoir honte.

 

Cette honte, ce mépris pour un travail "ni fait ni à faire" (pour reprendre les propos d'Yves Clot) est à l'origine d'une souffrance dont les conséquences sont dramatiques et qui font de ce malaise soignant une vraie question sociale.

 

Il est urgent de penser et de panser le soin, dans sa singularité avec le sujet au centre, au-delà des logiques gestionnaires et financières.

 

Renaud Lebarbier.

Psychologue, psychanalyste, clinicien du travail.

Vernon Saint-Marcel (27200)

 

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